À votre service : chapitre 09


 

Bonjour à tous !

Nous voilà en novembre 2017... Oui, le temps passe et on a des effluves de Noël dans le nez, le rappel du froid qui nous dit qu'on est mieux sous sa couette avec un bon chocolat chaud. Aujourd'hui, on m'a dit que je n'étais pas sympa, parce que je narguais mes chères lectrices en disant mon avancée sans rien en donner de concret. Donc, je me dois de me faire pardonner. Voici le chapitre 9. Ce chapitre est franchement mignon. Vous allez encore apprendre à connaître une remontant surprise de Camille et vous amuser de sa personnalité atypique, à la fois naïve et mignonne.

© Jordane Cassidy - 2017


9

“Faut toujours faire attention à ce qu'on mange ! Le manger, c'est beaucoup plus que du manger, c'est de l'amour.”

 

De Jean-Marie Gourio - L'Eau des fleurs

 

 

 


— Vingt heures cinquante…

Valentin regarda l’horloge de sa voiture avec lassitude. Il n’était, encore une fois, pas parti à l’heure du travail. Il s’était même forcé à quitter son bureau, car il savait que rester davantage n’avait rien de raisonnable. Il repensa à sa discussion avec Cassandre…

Elle a raison… Si je rentre si tard, on ne profitera pas plus l’un de l’autre…

Il soupira et se frotta l’arrête du nez du bout des doigts puis sortit de la voiture avec abattement. Il jeta un bref coup d’œil au jardin de la maison et à la piscine, puis ouvrit la porte d’entrée. Tranquillement, il posa les clés de la voiture sur le porte-clés accroché au mur lorsqu’une tornade se précipita sur lui.

— Enfin ! Je commençais à me faire du souci ! s’alarma Camille qui vint lui prendre sa petite mallette des mains. La nourriture de ce soir va être froide ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il faut au moins m’envoyer un SMS pour calmer mes inquiétudes.

— Ce n’est que trente minutes de retard ! Ce n’est rien.

— C’est important quand même ! Si vous voulez le nec plus ultra des employées de maison, vous ne devez pas manger un repas réchauffé dix fois pour cause de retards !

— Ouais…Ouais…, répondit Valentin tout en retirant sa veste et s’éloignant d’elle.

— Je suis sérieuse. Si vous voulez le meilleur, il va falloir vous aussi faire des efforts !

Valentin revint vers elle, posa son index sur la bouche de la jeune femme et secoua la tête d’un air réprobateur.

— Je viens d’avoir une grosse journée… Silence ! Je me fiche de vos états d’âme !

 

Il retira son doigt et alla s’affaler sur son canapé. Il ôta ses chaussures et mit ses pieds sur la petite table du salon, puis laissa reposer sa tête en arrière en fermant les yeux. Camille l’observa faire en silence, puis retourna vers la cuisine avec hâte. Elle attrapa un verre et lui prépara quelque chose avant de revenir vers lui. Elle s’assit ensuite à côté, sur le canapé, et lui tendit le verre. Valentin rouvrit les yeux et considéra l’un puis l’autre un instant.

— Pour vous ! Buvez, ça vous fera du bien.

— C’est quoi ?

— Une Ice Mint ! lui dit-elle fièrement.

— Pourquoi vous ne dites pas simplement «  menthe à l’eau » ?

— Parce que ce n’est pas une simple menthe à l’eau ! Il y a un dosage précis, des glaçons que je fais préalablement fondre pour faire ressortir la fraîcheur, c’est tout un art !

Valentin leva un sourcil, partagé entre la blague possible sortant de sa bouche et la conviction reflétée par le sérieux de son visage.

— C’est une menthe à l’eau avec des glaçons ! insista-t-il, blasé. Rien de compliqué ni de recherché !

— Faux ! Celle-là est spéciale !

— Pourquoi ? insista Valentin, ne comprenant toujours pas ce qu’il y avait de si extraordinaire.

Camille lui sourit alors.

— Parce qu’elle est préparée par moi ! Parce qu’elle est là pour revigorer mon patron. Et parce qu’elle est faite avec le cœur !

— Avec le cœur ? lui fit répéter Valentin avec un petit sourire atterré.

— Oui ! confirma-t-elle sans même hésiter une seconde. Les choses sont plus appréciables lorsqu’elles sont faites avec amour !

 

Valentin retira ses pieds de la table et se redressa. Il la fixa un instant et sourit plus franchement, tout en secouant la tête, toujours plus ébahi par l’innocence de ses mots qui parlaient en lui avec tant de force. Camille lui tendit le verre avec plus d’insistance pour qu’il l’accepte.

— Dans ma famille, on fonctionne comme ça ! continua-t-elle. Les plus petites choses sont souvent les plus réconfortantes. Mon Ice Mint vous fera du bien après votre dure journée !

Valentin se saisit du verre par capitulation et le porta à ses lèvres. Il but plusieurs gorgées tout en ne la quittant pas des yeux. Camille contempla le verre se vider avec un vif intérêt, comme s’il était important qu’il boive son remède miracle. Valentin fit une pause, sceptique, mais amusé.

— C’est une menthe à l’eau quand même ! réitéra Valentin, toutefois bien désaltéré.

Camille grimaça en réponse, agacée de le voir prendre son acte si futilement.

— Si vous rentrez à l’heure ou vous me prévenez par SMS de votre retard dorénavant, je vous dévoilerai le secret de fabrication de mon Ice Mint !

Valentin s’esclaffa tandis qu’elle restait digne et convaincue de son breuvage.

— Ok… J’essaierai de faire un effort, juste pour voir le secret de tous les temps !

Il acheva son verre d’un trait et le lui rendit tout en se levant.

— Allez ! J’ai faim.

— Ça tombe bien. J’ai testé mes paupiettes à midi et vous allez vous régaler ! s’empressa-t-elle de lui dire, tout en le suivant comme un chien faisant presque la fête à son maître. J’ai réussi à les cuisiner. Vous allez être fière de moi ! En plus, j’ai pu accomplir toutes les tâches que vous m’aviez données à faire et j’ai même rempli mon frigo !

Valentin lui lança un œil torve, peu amène à relancer le débat du matin sur ses corvées l’ayant mené à son propre échec d’autorité. Il s’installa ensuite devant son assiette, tout en l’observant se précipiter derrière les fourneaux pour le satisfaire au plus vite et paraître exemplaire à ses yeux.

— Je ne vois pas ce qu’il y a d’exceptionnel à constater dans votre cuisine. Après tout, vous n’avez fait que le travail pour lequel je vous paie. Ne pas le réussir ne ferait que me guider vers votre renvoi.

Camille croisa les bras.

— C’est quoi votre problème ? s’agaça-t-elle.  Je fais de mon mieux pour vous satisfaire, mais vous êtes très négatif à chacune de mes interventions ! Vous avez eu une mauvaise journée ? C’est aussi à moi de ramasser les pots cassés pour ce qui s’est mal passé au bureau ? Peut-être devriez-vous péter un bon coup pour libérer la soupape à la place ? Ça vous aiderait peut-être plus ! C’est vraiment à se demander si vous aimez votre vie ! conclut-elle très sarcastique. Êtes-vous heureux de votre vie ?

Péter… un bon coup ? Ça m’aiderait ?

Valentin bloqua devant ses propos aussi impolis que moqueurs. Son ton tout à coup plus vindicatif le surprit, autant que sur son vocabulaire. Son œil tressauta, mué par une sourde colère qui grandissait en lui à la voir le juger sans le connaître, à monter sur ses grands chevaux pour de simples paupiettes. C’était la seconde fois qu’elle pointait du doigt son plaisir de vivre, de profiter, se détendre.

Et elle, ça lui arrive de respirer au lieu de chercher tout le temps la perfection ?

— Heureux de ma vie ? C’est quoi le rapport avec votre cuisine ?

— Oh rien ! dit-elle en décroisant ses bras et en lui tournant le dos pour mettre à chauffer son plat.

— Bah si ! Dites ! À moins qu’il faille vraiment que j’aille péter dans mon coin avant ? Voulez-vous m’accompagner pour que ça sorte aussi mieux de votre côté ?

Elle lui refit face avec arrogance.

— Je me demande vraiment s’il vous arrive d’être cool, de prendre du recul, de vous reposer et vous déstresser… Vous amuser, quoi ! Être insouciant ! Vous êtes rabat-joie, triste, monotone. On dirait que rien ne vous fait plaisir. Tout vous semble futile, dérangeant, navrant !

Valentin écarquilla les yeux, stupéfait par son insolence, mais aussi par la négativité qu’elle lisait en lui. Il contempla son assiette vide, puis sourit amèrement. Soit il lui rentrait dans le lard direct et la virait sur le champ, soit il calmait le jeu et prenait en considération ses remarques. Dans un sens, elle n’avait pas tort sur le fait que les loisirs se faisaient rares depuis quelques temps dans sa vie. Même Cassandre en pâtissait. Mais cela n’excusait pas son attitude outrancière avec lui.

Rabat-joie ? Je suis rabat-joie ? Vraiment ?

— Je vois mal comment je pourrais respirer la joie de vivre avec une femme en face de moi qui me saute dessus, à peine rentré, pour me parler de ses petits problèmes de cuisinière alors que ma seule envie est justement d’être seul, tranquille et dormir ! Vous m’asphyxiez d’entrée avec vos futilités ! Oui, ce sont des futilités !

— Très bien ! répondit Camille, vexée. Vous ne semblez pas comprendre le concept de plaisir de vivre ni même de relâche et partage. Dépêchez-vous de manger et au pieu ! Ça tombe bien, j’ai mon film qui m’attend et à cause de vous, je vais déjà rater le début ! Si je pouvais éviter de rater la fin, ce serait génial !

Elle se retourna alors pour attraper le plat et lui servit ses paupiettes, avec peu de tact. Abasourdi devant son changement radical d’attention entre le moment Ice Mint et maintenant, Valentin regarda ses paupiettes avec consternation.

Comprendre le concept de plaisir de vivre ? Parce qu’en plus, elle est philosophe maintenant ?

Il s’esclaffa alors.

Je vais lui en mettre du plaisir dans les dents !

— Celui-là, je suppose qu’il n’est pas servi avec le cœur ? siffla-t-il, mauvais.

— Si, il a été préparé avec le cœur, mais je doute que vous vous en rendiez compte, donc faites comme si que non. Ce sera pareil. Je ne voudrais pas vous soûler davantage avec mes petits problèmes de cuisinière, et encore moins avec mes autres travaux ménagers ! Enfin mes discussions futiles, quoi ! J’irai discuter avec mes peluches si je ne peux pas regarder mon film. Avec elles, je suis sûre de trouver un public heureux d’avoir quelqu’un qui leur parle d’autres choses que de leur petit monde !

 

Un silence glacial s’installa entre eux. Valentin n’avait pas envie d’en arriver là. Camille attendait qu’il finisse tout en rangeant des bricoles et en le snobant volontairement. Valentin attrapa sa fourchette et son couteau, et commença à couper sa paupiette avec entrain, bien décidé à ne pas se laisser happer par le pouvoir de persuasion de son aide à domicile. L’ensemble était appétissant, préparé avec application malgré le service déplorable qu’il avait eu. Il l’imagina facilement réfléchir sur le choix des ingrédients, surveiller la cuisson, goûter de temps en temps, se féliciter de la bonne marche de ce qu’elle voulait faire, au point qu’il puisse être heureux de le manger en rentrant du boulot.

Fait avec le cœur… C’est ça ? Le dévouement le plus pur qui soit ?

Il porta son morceau à la bouche avec agacement et mâcha. Comme il avait pu s’y attendre, c’était bon. Très bien assaisonné, le repas satisfaisait à souhait ses papilles. Il avala sans problème ce qu’il venait de mettre en bouche, au point de vraiment réveiller son appétit. C’était fondant. Il posa pourtant sa fourchette après quelques bouchées. Il devrait être heureux, satisfait. Il devrait se réjouir qu’elle fasse son travail comme il l’espérait. Elle faisait même plus, comme il l’avait soupçonné dès leur embauche et avec un naturel qui se confirmait de jour en jour ! Rien de surjoué, tout dans la sincérité.  Autant dans les paroles que dans les actes, autant en bien qu’en mal… Malheureusement, ses paroles tournaient en boucle dans sa tête. Était-il heureux ? Il se rendait compte que non. Il était froid, rabat-joie comme elle venait de le lui souligner. Elle le lui avait déjà dit de «  respirer », de déstresser, de se détendre. Il savait que sa nonchalance apparente n’était rien. Qu’en-dessous, il était une boule de nerf sur pattes. Il était sur la corde raide, tendu, fatigué, à bout. Il essayait de relativiser sur tout, mais il passait à côté de l’essentiel. Camille avait raison. Cassandre aussi. Prendre du temps pour lui… Depuis combien de temps n’avait-il pensé qu’à lui ? Le peu de temps libre qu’il avait, il le partageait avec ses amis ou Cassandre, mais concrètement, était-ce  vraiment ce qu’il voulait ? Il voulait profiter d’eux, ne pas les vexer. Il n’aimait pas les conflits et était du genre à ne pas embêter son monde pour un oui ou un non. Du moins, c’est ce qu’il était par la force des choses, pour ne pas être seul. Mais avec le temps, il devenait soupe-au-lait. Consacrait-il du temps pour lui-même ? Il savait que non. Il avait beau chercher, il ne se souvenait pas de la dernière fois où il avait passé une journée, seul, chez lui, à ne rien faire ou faire ce que lui voulait. Se reposer, se ressourcer devant un bon livre, dormir au calme, passer sa journée devant la télévision. Il ne savait pas faire tout cela. La solitude le stressait davantage que d’être avec les autres. Mais à quel prix ? Il n’était finalement que l’ombre de lui-même.

 

Il regarda Camille un instant. Elle était là depuis deux jours et elle avait été capable de voir que sa vie lui échappait complètement. Elle ne le cernait pas totalement, mais elle avait pu soulever des pierres qui cachaient de gros dysfonctionnements dans sa vie. Sa perspicacité était assez impressionnante.

— Pardon… lui dit-il alors sérieusement. Je ne voulais pas… être vexant. Je…

Il soupira, navré.

— C’est vrai, je ne prends pas assez le temps de profiter et savourer. Je vais savourer votre repas…

Il reprit sa fourchette et piqua à nouveau un morceau de viande avec des pommes de terre. Il mâcha encore, puis sourit.

— Merci. C’est très bon.

Camille plissa les yeux, tentant de cerner le vrai du faux sur son changement d’attitude. Elle hésita un instant sur sa nouvelle bonne volonté à apaiser la situation. Valentin décida d’être plus convaincant, voyant qu’elle restait sceptique, distante.

— Vous n’avez qu’à commencer à regarder votre film ici, sur ma télé, dans le salon, le temps que je finisse. Je risque d’en reprendre et ça risque d’être plus long pour vous à attendre.

 

Camille le fixa, dubitative. Elle sentait sa disposition à être plus conciliant, mais avait du mal à croire à autant de gentillesse si soudainement.

— Vous êtes sûr ?

— Si je vous le propose.

— Vous n’allez pas dire que j’envahis votre espace vital ? En plus de vous sauter dessus avec mes problèmes de cuisinière ?

Valentin mangea de bon cœur.

— Je ne dirai rien ! jura-t-il presque la bouche pleine.

— Si c’est à contrecœur, ne vous embêtez pas. C’est encore pire de se sacrifier ou se rabaisser pour paraître conciliant ! déclara-t-elle convaincue. Je n’aime pas l’hypocrisie !

Valentin se leva et alla allumer sa TV dans le salon pour prouver sa bonne volonté.

— Quelle chaîne ?

— La vingt-trois ! lui répondit-elle alors, percevant une once de défi dans l’homme qui semblait vouloir lui prouver qu’il aurait le dernier mot.

Elle alla s’installer sur le canapé, un petit sourire aux lèvres, le prenant à présent au mot, à ses risques et périls.

— Une comédie romantique ? constata Valentin, effaré.

— Vos paupiettes vont refroidir ! lui répondit-elle tel un avertissement.

Valentin lui sourit, soulagé de constater la situation s’apaiser.

— C’est vrai ! Ça m’apprendra à arriver en retard !


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