À votre service : chapitre 17


Bonjour à tous,

Voici l'avant-dernier chapitre que je vous propose avant de retrouver le tome 1 dans vos mains. Je n'ai pas encore la date de sortie, mais il sera là bientôt.

Enjoy

© Jordane Cassidy - 2018


 

17

“Le plus souvent, ce qu'on prend chez une femme pour de la jalousie, c'est la rivalité.”

Anatole France – Le jardin d’Épicure (1895)


 

Camille s’activa à finir de faire cuire ses crêpes. La soirée foot avait été assez animée entre les hommes, hurlant un coup leur joie, leur déception ou leur colère. Ce fut Séverin et Valentin les plus expressifs. Elle avait pu voir son patron sous un autre jour. C’était la première fois qu’elle le voyait se lâcher autant. Avec Séverin, ils faisaient la paire. Ambroise, fidèle à son allure, fut plus modéré. Cela ne l’empêchait pas d’être le plus calé de tous concernant les équipes, les pronostics, les transferts…, mais il gardait un flegme impressionnant même devant ses amis. En l’observant bien, elle trouvait sa réserve charmante. Il émanait de lui une sorte de mystère dont il fallait découvrir les contours pour mieux comprendre le personnage. Camille se mit à sourire en repensant à la soirée. Il y avait eu une ambiance bon enfant. L’arrivée de Cassandre avait fait beaucoup évoluer l’humeur de son patron, même si ses deux amis ne semblaient guère l’apprécier. Pour sa part, elle avait encore beaucoup de mal à dire si elle l’appréciait ou pas. Comme le lui avait fait remarquer Ambroise, Cassandre pouvait se montrer très distinguée, ayant même parfois cette sensation de passer pour hautaine. Elle se demandait même si elle n’était pas issue d’une famille bourgeoise. Autant dire que le couple qu’elle formait avec Monsieur Duval ressemblait aux couples beaux et riches, jet-setters, qu’on voyait dans les magazines. En cela, elle aussi se demanda si c’était vraiment cette image qui ressemblait le plus à son patron. Elle avait déjà pu constater qu’il aimait aussi la simplicité. Elle comprenait également les réticences de Séverin et Ambroise sur leur relation. Cassandre n’avait pas quitté la villa après la soirée. Elle était restée avec Valentin. Camille s’était éclipsée poliment pour les laisser en privé. Elle ignorait si elle avait passé la nuit ici avec lui ou si elle était partie plus tard. Son employeur n’avait noté aucune directive concernant ce matin. Malgré tout, elle préféra prévoir un déjeuner pour deux, plutôt que de paraître une nouvelle fois complètement dépassée par les évènements comme la veille, et se sentir inutile.

L’odeur des crêpes embaumait le salon et la cuisine, ce qui ne passa pas inaperçu au nez de Valentin lorsqu’il se présenta à côté d’elle avec une chevelure ébouriffée et le visage encore un peu endormi.

— Putain ! Qu’est-ce ça sent bon ! fit-il tout en s’affalant contre le comptoir.

— Oh ! Bonjour Monsieur Duval ! Eh bien ! La nuit a été compliquée ? fit-elle tout en pouffant et se moquant de sa tête ensommeillée. Vous voulez que je vous prête mon peigne ?

Valentin sourit malgré lui, acceptant sa boutade volontiers. Ce matin, il avait trop faim. Il préférait profiter du petit déjeuner avant la douche.

— J’ai la dalle ! Et je sais que ce que je sens va combler mon ventre !

Il se releva et passa dans la cuisine avec la ferme intention de picorer quelque chose.

— Elle m’a fait mes crêpes ! fit-il heureux, le sourire jusqu’aux oreilles ! La perle des gouvernantes !

— Oui ! Et je n’ai pas fini de les faire cuire, donc on ne touche pas ! répondit-elle tout en tapant gentiment la main chapardeuse qui tentait de se servir sans permission.

Valentin secoua sa main pour faire passer la légère douleur, puis se mit à rire.

— Mais j’ai faim !

— Oui, je sais ! Ça arrive ! Un peu de patience !

— Allez… Juste un morceau ! fit-il alors suppliant. Je me suis dépensé toute la nuit ! Il faut nourrir mon corps !

Camille fit un « O. » offusqué devant sa révélation, ce qui amusa encore plus Valentin.

— Vos activités nocturnes ne me concernent pas !

— Bien sûr que si ! Vous avez dit hier que tout ce qui comptait était mon bien-être. Par conséquent, si mon bien-être passe par mes activités nocturnes, il vous faut mettre toute votre hargne à ce que je sois en forme pour mener à bien ces mêmes activités !

Valentin tenta alors un second assaut avec conviction sur l’assiette de crêpes chaudes. Cette fois-ci, Camille frappa sa main avec la spatule qu’elle utilisait pour décoller les crêpes de sa poêle. Valentin lâcha un « aïe » choqué.

— J’ai dit : « On ne touche pas tant que ce n’est pas fini ! », asséna Camille sur un ton sévère, sans prendre en considération les propos de Valentin.

— Vous prenez en otage mon estomac et les crêpes ! C’est cruel ! On repassera pour la douceur et le bien-être !

— Allez voir votre chérie pour la douceur et le bien-être ! Moi, je cuisine !

Valentin lui sourit avec joie.

— « Douceur et bien-être » arrive ! Elle met juste plus de temps à se lever. Vous pouvez mettre deux couverts.

— Raison de plus pour sauvegarder les crêpes avant son arrivée !

Un nouveau « paf ! » retentit alors que Valentin se tenait la main, tout en la fusillant du regard.

— Même pas une once de pitié. En fait, elle me nargue ! Elle a fait des crêpes, juste pour me faire souffrir mille tourments. Ce n’est pas une aide à domicile que j’ai, c’est une tortionnaire ! Un bourreau !

Camille se retint de rire et fit sauter sa crêpe dans sa poêle tout en prenant un comportement anodin. Valentin plissa les yeux, devant son attitude provocatrice.

D’un geste rapide, il encercla la taille de Camille de ses bras et après un demi-tour sur lui-même, la déporta loin de l’assiette de crêpes. Camille poussa un cri surpris, se sentant emportée malgré elle, sans possibilités de résister. Valentin la déposa alors et se précipita sur l’assiette. Il perdit du temps à tenter de décoller la première crêpe du tas, ce qui laissa le temps à Camille de revenir à la charge. Tel un roc, Valentin demeura ancré au sol et fit rempart avec son dos, si bien que Camille n’arrivât pas à l’éloigner du plat. Jouant chacun des épaules, tout en lâchant un rire de temps en temps, la bataille prit en intensité. Valentin attrapa la crêpe, mais celle-ci se déchira lorsque Camille tenta de la lui reprendre des mains. Rapidement, afin de ne pas en perdre davantage, Valentin enfonça le morceau restant dans sa bouche avec triomphe, devant une Camille dépitée et en colère. Valentin mâcha fièrement et lui sourit tout en appréciant ce que ses papilles lui offraient.

— Puis-je avoir l’autre morceau, maintenant ? lui demanda-t-il tout mielleux, la bouche pleine.

 Perdu pour perdu…

Vaincue, Camille souffla et enroula dans ses mains le reste de crêpes. Lentement, elle porta la pâtisserie à la bouche de Valentin qu’il ouvrit volontiers, après avoir avalé sa première bouchée. Avec précaution, il engloutit la crêpe tout en évitant de lui attraper les doigts avec, puis sourit tout en mâchant.

— C’est la seule qui sera mangée ainsi ! prévint Camille, sur le ton de l’avertissement.

Valentin posa son index sur le front de Camille, entre ses yeux et appuya fort.

— Oui, Mademoiselle ! Promis ! répondit-il badin.

— Il y a l’air d’y avoir de l’ambiance ici !

Cassandre fit son apparition avec un petit sourire tout en observant Camille puis Valentin. Valentin se contracta un instant, avec cette impression d’être pris en flagrant délit de quelque chose de mal, alors qu’il ne voyait pas trop quoi.

— Bonjour ! fit Camille tout sourire avant de renifler et se mettre à crier. Merde ! Ma crêpe !

Elle se tourna précipitamment vers sa poêle et tenta d’en sortir sa crêpe toute cramée. Valentin pouffa en la voyant se débattre avec sa pauvre crêpe et le bout de ses doigts brûlants. Elle lâcha des petits cris, mélange de douleur et de précipitation dont Valentin ne resta pas insensible. Il trouva même cela mignon.

— Super ! déclara alors Camille, déçue. Elle est toute ratée !

Sans se gêner, elle lança un regard noir à Valentin qui nia toute responsabilité en ignorant son air de tueuse et en allant s’asseoir docilement derrière le comptoir. Cassandre le rejoignit et s’installa à côté de lui. Camille mit les couverts et un silence gêné prit place entre les trois.

— Vous prendrez quelque chose en boisson pour le petit déjeuner ? demanda poliment Camille à Cassandre.

— Un chocolat au lait s'il vous plaît.

Camille prépara les boissons puis les leur servit avec précaution. Cassandre posa ses mains sur son bol, contente de pouvoir manger. Valentin ne dit pas un mot, mais s’amusa à regarder Camille finir de cuire ses crêpes.

— Que voulez-vous sur vos crêpes ? demanda-t-elle, une fois sa crêpe sortie de la poêle, mais garda son dos tourné pour en préparer une nouvelle.

— Sucre ! fit Cassandre, l’air ravi.

— Sirop d’érable ! répondit Valentin avec malice.

Camille se retourna, inquiète.

— On a ça ?

— Oui, on a ça ! s’esclaffa Valentin. Avec la pâte à tartiner, au fond du placard.

Sans lui répondre, Camille alla vérifier.

— Ah oui ! Je n’avais pas vu !

Sans un mot, elle prépara les deux crêpes puis les servit. Valentin écarquilla les yeux, avant de pouffer tandis que Cassandre grimaça.

— Laissez-moi deviner, Mademoiselle Bonin. Cette crêpe est préparée avec amour, elle aussi !

— Oui ! fit Camille, toute fière. Elle est là pour donner le sourire… et ça marche !

Cassandre n’aima pas sa réponse.

— Êtes-vous obligée d’en faire autant ? Lui dessiner un cœur faisant la grimace avec le sirop, c’est exagéré ! Depuis quand une employée dessine des cœurs à son patron ? Vous le voulez dans votre lit, peut-être ? Vous avez un sacré culot ! Devant moi, en plus !

Camilla resta idiote devant l’agressivité soudaine de Cassandre.

— Non Cassandre ! intervint Valentin pour calmer le jeu. Camille n’a aucune intention malvenue à ton encontre…

Il regarda sa crêpe au sucre, toute simple, qu’elle avait devant son nez.

— Bon, c’est vrai que là, pour le coup, Mademoiselle Bonin aurait pu aussi te faire un dessin…

— Comment est-ce que je peux faire un dessin avec du sucre ? protesta Camille, perdue. Ce n’est pas simple ! Je ne peux pas y aller grain par grain ! Et si j’en mets trop, ce sera immangeable !

Valentin se mit à rire en l’imaginant déplacer le sucre avec ses doigts sur la crêpe et râler parce que finalement, il y aurait plus de sucre sur ses doigts que sur la crêpe.

— Et ça te fait rire ? s’énerva plus franchement Cassandre.

— Cassie, Mademoiselle Bonin a pour philosophie d’insuffler de l’optimiste aux autres par de petits gestes sympathiques, censés donner le sourire. C’est un encouragement pour… disons… bien appréhender la journée.

Cassandre le dévisagea, gobant difficilement ses propos.

— Je rêve ou tu la couvres ?

Valentin se tut un instant, surpris de voir sa jalousie et donc son manque de confiance en ses mots et en lui.

— Mademoiselle Bonin est une personne zélée, qui ne mélange pas vie privée et travail. Elle est généreuse et ça se traduit par ce type de geste. Il n’y a rien de plus.

Le ton plus dur de Valentin blessa Cassandre.

— Je ne voulais pas paraître insultante ou inconvenante. Je vous assure ! Je voulais juste lui dire que malgré ma colère à l’avoir vu me voler une crêpe, je ne lui en voulais pas. J’ai été maladroite… Pardon.

Valentin se trouva confus de voir Camille s’excuser, mais tout aussi confus de voir Cassandre accepter difficilement ses explications. Il pouvait comprendre que l’acte de Camille pouvait porter à quiproquo, mais elle devait lui faire confiance. Or, elle semblait toujours sur la réserve.

— Restez à votre place, Mademoiselle Bonin ! déclara sèchement Cassandre. On ne vous demande pas de lécher les bottes ou faire du gringue pour bien vous faire voir. Faites votre job, ça suffira !

Blessée d’être une nouvelle fois incomprise, Camille fixa Cassandre, puis Valentin. Ce dernier lui offrit un sourire désolé en réponse. Ne supportant pas de voir Cassandre prendre la place de son patron pour la recadrer, elle posa toute l’assiette de crêpes devant eux.

— Je vais vous laisser prendre votre petit déjeuner entre vous. Je rangerai plus tard.

Sans attendre de réponses, elle s’éclipsa, laissant Valentin seul avec Cassandre.

— Tu aurais dû rester à ta place, toi aussi ! fit Valentin, peu enthousiaste de la tournure des événements.

— Quand je n’apprécie pas quelque chose, je le dis. Elle a un culot énorme ! Déjà hier soir, elle m’a ridiculisé en mettant en avant sa volonté de faire de cette maison un refuge dont elle serait la gardienne, comme si elle était un élément central de ta vie ! Et elle ose me le dire à moi, ta petite amie, qui est censée être la seule chose qui compte pour toi ! Elle n’a eu que le retour de bâton !

Valentin se mit à sourire devant l’agacement de sa chérie.

— Ta jalousie est mignonne. C’est bien la première fois que je te vois aussi impactée. Cependant, ta jalousie n’a vraiment pas lieu d’être. Mademoiselle Bonin ne pense pas à mal, c’est dans sa nature. Elle ne réalise pas toujours l’ambiguïté de ses actes. C’est aussi pour ça que je l’ai embauché. J’avais du mal à la cerner, mais aujourd’hui, ça va mieux. Je réalise que c’est de l’insouciance et non de la provocation. Je t’assure que tu peux te décontracter.

Il lui fit alors un baiser sur la joue et la serra dans ses bras. Cassandre soupira, hésitante, puis se laissa aller contre lui.

— Il y a un très bon moyen de régler le problème : tu viens vivre ici et tu prépares de bons petits déjeuners qu’on mangera ensemble et le tour est joué !

Il attaqua son cou de baisers et Cassandre craqua cette fois-ci. Elle répondit à ses avances volontiers. Leurs lèvres se retrouvèrent et se donnèrent de l’attention pendant quelques secondes.

— Bien tenté, ta remise sur le tapis du déménagement. J’avoue que je préférais Gigi. Il y a un truc qui m’agace chez ta nouvelle recrue, je ne la sens pas. Ce n’est pas son zèle, c’est autre chose. Je n’aime pas sa sympathie, sa simplicité. C’est trop facile pour que ce soit crédible. Méfie-toi d’elle.

— Alors, viens vivre ici et on renégociera sa présence.

— Val, ce n’est pas si simple. On n’emménage pas dans une maison pour se rassurer et virer quelqu’un, mais d’abord pour soi, pour son couple, parce que ça va de soi !

— Notre nuit n’allait pas de soi ?

— Avec toi, tout semble réalisable, si simple, si évident.

— Fais-moi confiance alors !

— Je vais y réfléchir… vraiment.


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